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Bouger pour mieux penser par Sandrine Cabut

28 Octobre 2021

Rendez-vous Dix mille pas et plus (Le Monde, 20 octobre 2021)

A chaque fois, au bout de quinze ou vingt minutes de course, j'ai l'impression d'y voir plus clair dans ma tête », raconte cette collègue qui fait du jogging trois fois par semaine. Au fil de sa séance surviennent, par exemple, de nouvelles idées de sujets, l'attaque d'un article (son début) qui tardait à venir. Elle désamorce aussi des inquiétudes, en « trouvant dans [sa] tête qui court la bonne formule pour parler à quelqu'un, organiser quelque chose  ».
Fondue de course à pied – sport auquel elle a consacré un essai, Petit Eloge du running (éditions François Bourin, 2018) –, la jeune écrivaine Cécile Coulon a, elle, longuement décrit sur les ondes de France Culture comment sa pratique l'aide à construire l'histoire, les personnages, le suspense de ses livres. Au fil des foulées et de la concentration qu'elles imposent, « tout ce qui est inutile quitte la pensée », assure-t-elle. Et de -résumer : « Intellectuellement, on s'affine en courant. ».


Ce constat que tête et jambes vont de pair ne date pas d'hier. « Au moment où mes jambes commencent à bouger, mes pensées commencent à couler, comme si j'avais donné de l'air au ruisseau à l'extrémité inférieure et qu'en conséquence de nouvelles fontaines s'y déversaient à l'extrémité supérieure », théorisait le philosophe Henry David Thoreau, au milieu du XIXe siècle. Son contemporain Friedrich Nietzsche, grand marcheur, est même allé jusqu'à prétendre que « seules les pensées qu'on a en marchant valent quelque chose ».
Amélioration des performances cognitives.
Qu'en dit la science ? S'agissant de la pratique régulière d'une activité physique (AP), ses multiples bénéfices pour le cerveau ont été bien documentés. Il est notamment démontré que bouger améliore les performances cognitives et protège des maladies neurodégénératives. Les données sont plus nuancées s'agissant des effets « aigus » d'une séance sportive. « Quasiment toutes les études retrouvent une augmentation des performances cognitives, plus ou moins marquée selon le type d'activité physique, l'âge des participants, les fonctions testées, résume Olivier Dupuy, enseignant-chercheur au laboratoire MOVE (mobilité, vieillissement et exercice), à l'université de Poitiers. Les bénéfices sont présents dès les quinze premières minutes de la séance et persistent jusqu'à une heure, voire deux, après la fin de celle-ci. » Ces effets aigus sur les performances cognitives sont plus nets sur les fonctions dites « exécutives » : la mémoire de travail, la flexibilité, l'inhibition et la planification. Ces fonctions correspondent surtout au cortex préfrontal.
Les bienfaits d'une séance sur l'humeur et le niveau de stress – liés à la libération de neurotransmetteurs et d'endorphines – peuvent aussi contribuer au boost des performances cognitives, souligne Olivier Dupuy.


Quid de l'effet d'une marche, d'un jogging ou d'un tour de vélo sur la créativité ? Si les témoignages sont légion, les études scientifiques sur le sujet sont plus rares, et pas toujours faciles à interpréter, ce paramètre étant plus subjectif que les fonctions cognitives. Dans un article de 2014 humoristiquement titré « Donnez des jambes à vos idées », deux scientifiques américains de l'université de Stanford détaillent les résultats positifs de quatre expériences. Dans différentes conditions de marche – sur tapis roulant, en extérieur… –, les volontaires ont été soumis à des tests pour évaluer leur pensée convergente (capacité à trouver une réponse à un problème donné par un raisonnement logique) et divergente (processus permettant de trouver plusieurs réponses en produisant des idées créatives). « La marche favorise la libre circulation des idées et constitue une solution simple et robuste pour atteindre les objectifs d'augmentation de la créativité et de l'activité physique », concluent les chercheurs.